Éloge de l'ombre

(...) Ce qui explique qu’on ait, à l’aphorisme : « le raffinement est chose froide », pu ajouter «et un peu sale ». Quoi qu’il en soit, il est indéniable que dans le bon goût dont nous nous targuons, il entre des éléments d’une propreté douteuse et d’une hygiène discutable. Contrairement aux Occidentaux qui s’efforcent d’éliminer radicalement tout ce qui ressemble à une souillure, les Extrêmes-Orientaux la conservent précieusement et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau. C’est une défaite, me direz-vous et je vous l’accorde, mais il n’en est pas moins vrai que nous aimons les couleurs et le lustre d’un objet souillé par la crasse, la suie ou les intempéries, ou qui paraît l’être, et que vivre dans un bâtiment ou parmi des ustensiles qui possèdent cette qualité-là, curieusement nous apaise le cœur et nous calme les nerfs.

Éloge de l'ombre, Junichirô Tanizaki (1933)