Le lièvre de Mars

(...) Alice s’assit dans un grand fauteuil à un bout de la table.
« Prends donc un peu de vin », proposa le Lièvre de Mars d’un ton
encourageant.
Alice promena son regard tout autour de la table, mais elle n’aperçut
que du thé. « Je ne vois pas de vin, fit-elle observer.
– Il n’y en a pas, dit le Lièvre de Mars.
– En ce cas, ce n’est pas très poli de votre part de m’en offrir, répliqua
Alice d’un ton furieux.
– Ce n’est pas très poli de ta part de t’asseoir sans y être invitée,
riposta le Lièvre de Mars.
– Je ne savais pas que c’était votre table, répondit Alice ; elle est mise
pour plus de trois personnes.
Le Chapelier ouvrit de grands yeux en entendant cela ; mais il se
contenta de demander :
« Pourquoi est-ce qu’un corbeau ressemble à un bureau ? »
« Parfait, nous allons nous amuser ! pensa Alice. Je suis contente qu’ils
aient commencé à poser des devinettes…
– Je crois que je peux deviner cela », ajouta-t-elle à haute voix.
– Veux-tu dire que tu penses pouvoir trouver la réponse ? demanda le
Lièvre de Mars.
– Exactement.
– En ce cas, tu devrais dire ce que tu penses.
– Mais c’est ce que je fais, répondit Alice vivement. Du moins… du
moins… je pense ce que je dis… et c’est la même chose, n’est-ce pas ?
– Mais pas du tout ! s’exclama le Chapelier. C’est comme si tu disais
que : “Je vois ce que je mange”, c’est la même chose que : “Je mange
ce que je vois !”
– C’est comme si tu disais, reprit le Lièvre de Mars, que : “J’aime ce
que j’ai”, c’est la même chose que : “J’ai ce que j’aime !”
– C’est comme si tu disais, ajouta le Loir (qui, semblait-il, parlait tout
en dormant), que : “Je respire quand je dors”, c’est la même chose
que : “Je dors quand je respire !”
– C’est bien la même chose pour toi », dit le Chapelier au Loir. (...)

extrait d'Alice aux pays des merveilles, de Lewis Carroll